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14 Fév 2025

Le CAM 6 : remués par une brise légère, envoyés avec le feu sacré

En novembre dernier, Porto-Rico était l’hôte du 6e Congrès missionnaire de l’Amérique, l’un des Congrès les mieux réussis depuis ses débuts en 1977. Quoiqu’il en soit, un nouveau souffle s’est fait ressentir et il va propulser l’Église vers l’avant.

Par José I. Sierra

Du 19 au 24 novembre 2024, Porto-Rico était l’hôte du 6e Congrès missionnaire de l’Amérique (CAM 6), accueillant quelque 1300 participants de 40 pays. Le temps nous dira, mais on peut déjà avancer avec certitude que c’est probablement l’un des Congrès les mieux réussis, sinon le meilleur, depuis ses débuts en 1977. Quoiqu’il en soit, un nouveau souffle s’est fait ressentir et il va propulser l’Église vers l’avant.

Le cadre était magnifique. Des palmiers défilaient de partout, la mer semblait nous saluer de loin, le soleil était éblouissant sur fond d’un ciel bleu enchanteur. Et la chaleur nous rappelait celle des portoricains qui, avec une aisance déroutante, nous accueillaient le sourire aux lèvres avec leur musique omniprésente, heureux de nous avoir parmi eux enfin après six ans d’attente et de préparations.

C’était mon troisième Congrès missionnaire de l’Amérique (CAM), ma troisième expérience de ce rassemblement unique au monde « qu’il faut vivre au moins une fois dans sa vie », comme l’a si bien exprimé Sylvio, l’un de nos délégués canadiens des Œuvres pontificales missionnaires (OPM) qui est directeur diocésain des OPM pour le diocèse de Gaspé.

Commencés en 1977 au Mexique en tant que Congrès missionnaire de l’Amérique latine (COMLA), les CAM – qui ont lieu à tous les cinq ans – englobent aujourd’hui tout le continent américain. Les Congrès sont organisés par les OPM du pays organisateur et pour cette 11e édition ce sont les OPM au Porto-Rico qui ont pris le relais, nous accueillant les bras ouverts dans la belle ville de Ponce, une première pour la région des Caraïbes. À la messe d’ouverture, l’évêque du diocèse de Ponce, Mgr Rubén Antonio González Medina, c.m.f., donnait déjà le ton en nous disant : « Nous avons une expression d’ici que je vous partage : « Qu’il est bien que tu sois venu » ».

Une expérience qui nous mets au défi

On me demande souvent ce qu’est un CAM et ce qu’il a de si particulier. Ces questions reflètent les défis qui ont accompagné les Congrès avec les années, comme la question de la langue. L’une des raisons qui font que les Congrès missionnaires sont à peine connus ici au Nord, c’est le fait que l’espagnol et le portugais ont été les seules langues parlées dans les Congrès depuis leur début en 1977 jusqu’à récemment. D’autre part, les délégations du Canada et des États-Unis se sont intégrées au Congrès pas plus tard qu’en 1999 au rassemblement de Paraná, en Argentine. Ce n’est donc qu’à partir de ce moment que « le Nord » a commencé à participer, bien que timidement.

Les choses ont bien changé depuis. Les organisateurs du CAM se sont munis d’interprètes professionnel canadiens, donnant la possibilité de suivre le Congrès sur YouTube dans quatre langues. Par ailleurs, le Canada a envoyé un nombre record de délégués canadiens – 38 au total – qui étaient plus que contents de participer à ce CAM 6. Ce fut une expérience remarquable, voire marquante pour plusieurs d’entre-eux. La grande majorité des personnes du groupe vivait son premier CAM et ne savait pas trop à quoi s’attendre…

« Je suis vraiment surprise! », s’exclamait Mercedes, une laïque engagée dans sa paroisse à Montréal. Beaucoup étaient pris au dépourvu par la profondeur et le sérieux de la démarche qu’ils étaient en train de vivre.

Si, par exemple, les Journées mondiales de la jeunesse réussissent à rassembler des centaines de millier de jeunes du monde entier, souvent assoiffés, en quête de sens et prêts à s’engager, les CAM parviennent, quant à eux, à disposer d’un espace propice pour celles et ceux qui sont assez mûrs et prêts pour passer à la prochaine étape.

En effet, les CAM vont au-delà de la simple question d’être prêt ou pas à suivre le Christ. Les Congrès approfondissent la dynamique de l’envoi par le Christ. Ils essaient de répondre à la question plus profonde de l’identité missionnaire de l’Église. Quel type de missionnaire veux-je devenir? Qu’est-ce qui en moi, et avec mon expérience de vie, peut contribuer concrètement à l’annonce de l’Évangile de Jésus aux peuples qui ne le connaissent pas (ou très peu)? Quels sont les changements que l’Église est appelée à faire? Comment se former, comment nourrir sa foi afin d’être des missionnaires à la mesure de notre appel et de notre mission particulière? Voilà un échantillon des réflexions abordées au CAM.

Les semences du CAM

En côtoyant les délégués canadiens chaque jour, je m’apercevais du changement qui se produisait en eux alors qu’ils se laissaient s’imprégner par la dynamique du Congrès.

Pour Véronique qui est directrice diocésaine des OPM au Canada pour l’archidiocèse de Sherbrooke, et qui participe à son premier CAM, ce processus la fait beaucoup réfléchir :

« Il y a davantage une prise de conscience que je suis une disciple-missionnaire. Il y a un renouvellement de ma mission que je suis en train de vivre », m’explique-t-elle en cherchant ses mots.

Lors de sa conférence, le père Roberto Claudio Tomichá Charupá, o.f.m.Conv., directeur de l’Institut de missiologie de Cochabamba (Bolivie), a mis les congressistes au défi en leur demandant de réfléchir un instant à cette question : « En quoi m’interpelle-t-il le CAM en ce moment, de manière à ce que je puisse mieux approfondir le témoignage du Christ que je donne dans ma vie, là où je me retrouve? »

Pour des participants comme Juan Pablo, engagé activement avec son épouse dans leur paroisse à Montréal, ce genre de question fait beaucoup réfléchir. Il constate lors de ce CAM qu’il est en train d’éprouver quelque chose de nouveau :

« Je pense que je vie une conversion, malgré le fait que je sois un catholique impliqué dans l’Église, confie-t-il. Une fois le Congrès fini, je vois plusieurs choses qui m’interpellent et dont je pourrais mettre en pratique. Quoi qu’il en soit, je pense que l’esprit missionnaire constitue l’avenir de l’Église catholique. C’est-à-dire, aller comme laïcs aux périphéries du monde. »

Et Véronique d’ajouter : « Je veux me laisser guider par l’Esprit Saint, parce que c’est, après tout, ce que nous avons à faire comme disciples-missionnaires du Christ. »

L’Esprit Saint, l’école de l’écoute

Le thème et le slogan de ce Congrès sont providentiels et propices. L’Esprit Saint – beaucoup de congressistes l’ont constaté et en parlent encore – a agit dans ce CAM. « Évangélisateurs avec esprit jusqu’aux extrémités de la Terre » était le thème, et « Amérique, témoins du Christ par la force de l’Esprit » était le slogan.

Il est donc question de discernement, de chercher à se rendre disponible et ouvert à l’Esprit pour écouter ce que Dieu a à nous dire. C’est du moins ma lecture. Laisser agir l’Esprit en nous ne suppose-t-il pas de prêter l’oreille du cœur pour écouter la voix de l’âme?

Une bonne partie de cet exercice passe par l’écoute des témoignages missionnaires et les conférenciers, mais aussi par la participation aux tables rondes. Car Dieu habite nos dialogues aussi, et nous parle à travers le partage de nos expériences de vie.

« J’ai beaucoup aimé les témoignages, c’est très interactif, raconte Sylvio. Il y a des gens qui s’expriment avec beaucoup de profondeur, autant par leurs actions que par leur foi ».

Je pense, ici, à Sr. María Luisa Mesina, f.m.v.d., originaire des Philippines. Elle a 39 ans de vie missionnaire et a été envoyée dans plusieurs pays, dont Porto-Rico où elle œuvre en ce moment. Avec son charisme et sa voix douce, elle rappelait aux congressistes le contexte autour du typhon Haiyan de 2013 qui a fait plus de 6000 victimes dans son pays. Présente auprès des sinistrés, elle disait que, grâce à l’écoute de la Parole de Dieu, les gens avaient réussi à comprendre que Dieu n’était pas dans le typhon, mais dans le chuchotement d’une brise légère.

« Être missionnaire, a-t-elle dit, c’est aller là où se trouvent nos frères et sœurs qui cherchent le vrai visage de Dieu. Dieu est amour (cf. 1 Jn 4,8), il ne nous abandonne jamais, il ne nous déçoit jamais, il ne veut pas de mal pour nous. Au contraire, il est bon et nous aime beaucoup. »

Défis et dépassements, à deux

Un témoignage qui m’a beaucoup touché, c’est celui de María Belén et Emilio Ignacio. Couple missionnaire argentin, respectivement vétérinaire et médecin de profession, ils œuvrent aujourd’hui auprès des populations indigènes de leur pays natal. Leur soif de servir les autres les a conduits à entamer un discernement commun avec l’aide du programme de volontariat missionnaire salésien. Ils ont senti l’appel de relever le défi d’aller en Inde et faire mission là-bas.

Dans l’une des tables rondes, le couple a partagé des éléments de leur expérience missionnaire. María Belén raconte que ce fut pour eux un très beau défi puisqu’il s’agissait de découvrir un autre continent, une autre culture, et une autre langue :

« Avant de voyager en Inde, on a fait beaucoup de recherches et on a même rencontré des femmes indiennes qui habitaient près de chez nous, afin de leur poser des questions sur leur pays.

« On s’est mis à apprendre l’hindi durant huit mois, se souvient-elle. Mais cela nous a servi très peu parce que là où on nous a envoyé, les gens parlaient le marathi. Plus tard, on nous a déplacé dans l’État du Gujarat et on a dû apprendre le gujarati! Ce fut tout de même une expérience très enrichissante, d’autant plus que ce sont les enfants qui nous ont aidé à apprendre leur langue. »

Emilio, quant à lui, a parlé sur l’importance de l’accompagnement des personnes désireuses d’entreprendre une expérience missionnaire, il raconte que son épouse et lui ont eu la grâce de vivre l’expérience décrit dans l’Évangile où le Christ envoie les disciples par groupes de deux. Il s’explique :

« En réalité, nous sommes trois car Jésus est toujours avec nous, dit-il d’emblée. C’est la Trinité qui unie notre amour que nous essayons de faire rayonner autour de nous.

« La première personne à m’accompagner avant, durant et après ce processus fut mon épouse, dit-il en s’arrêtant brièvement, visiblement ému. Sentir la présence de Dieu ensemble, sentir tous les deux la même chose, n’est pas un prérequis pour partager une expérience missionnaire. Mais dans notre cas, ce fut un cadeau. Nous étions deux jeunes vivant dans deux provinces différentes, avec des contextes et des histoires différentes. Il se trouve que nous nous sommes rencontrés sur le même chemin, en train de discerner notre vocation missionnaire ad gentes pour laïcs – nous étions fiancés, en discernement sur notre mariage – pour ensuite aller faire une expérience de mission en couple.

« Avant même de rêver à notre destination, nous nous accompagnions l’un l’autre. La relation que nous vivions ensemble s’est avérée être très importante une fois rendus en terre de mission. L’accompagnement est fondamental. Aujourd’hui, nous continuons ce travail dans notre pays en aidant les jeunes. Dans notre cas, c’était notre Église locale qui nous a accompagnés, ainsi que notre évêque qui nous a donné son appui, sa proximité, et son affection. Sans oublier l’importance de la prière. En tout moment de notre mission, nous nous sentions portés par la prière des nôtres – famille, amis, communauté, même des gens qui avaient entendu dire que nous étions en Inde. »

Les avertissements du Congrès

Les Congrès missionnaires de l’Amérique, faut-il le rappeler, constituent un espace d’écoute et de dialogue communs. C’est pourquoi, à chaque Congrès il y a des moments forts, marqués par la force et l’audace des messages lancés par certains intervenants. Beaucoup diront que ce sont des voix prophétiques qui se lèvent pour éclairer le monde d’aujourd’hui. Quoiqu’il en soit, certaines paroles laissent des traces et servent à (re)bâtir l’Église de demain.

C’est le cas de Rodrigo Guerra López, laïc, secrétaire du dicastère pour la Commission pontificale pour l’Amérique latine, qui a exprimé son espoir de voir au CAM 7 un signe de confiance : « Que l’on mette sur la table d’invités d’honneur les missionnaires vivant les situations les plus difficiles, les laïcs les plus imparfaits… » Une demande qui fait écho au souhait du pape François d’avoir une Église de plus en plus inclusive. La déclaration du laïc mexicain lui a valu des centaines d’applaudissements de la part des congressistes; un bruit retentissant tel une évidence, en plein cœur de l’immense auditorium universitaire.

Le père Tomichá, quant à lui, fait remarquer que le modèle du missionnaire est celui de quelqu’un qui, à l’image de Jésus, guérit, harmonise la vie autour de lui, crée de la proximité avec les derniers de la société. Mais il s’interroge : « Nos institutions d’aujourd’hui, guérissent-elles? ». Autrement dit, est-ce que l’Église agit à l’image du Christ? C’est une question qu’il faudra poser à ceux qui se trouvent en-dehors de nos institutions, lance le franciscain. « Pour l’instant, observe-t-il, nous percevons constamment des cas d’agressions sexuelles, des abus économiques, des abus de conscience et de pouvoir », tandis que l’Église, par définition, « se présente en tant que lieu d’accueil, d’espoir, et de joie » pour le monde.

Et maintenant?

Lors de la messe de clôture on annonce que le prochain CAM aura lieu en 2029, au Brésil. Entre-temps, le travail de synthèse est en cours aboutissant avec les conclusions finales du Congrès.

L’expérience du CAM 6 passée, beaucoup désirent entamer une formation missionnaire, d’autres réfléchissent à des façons d’intégrer dans leurs propres milieux ce qu’ils ont appris à Porto-Rico. D’autres encore, comme Thérèse, directrice diocésaine des OPM à Rimouski, voient plus grand : « Je souhaite à nos Églises locales des congrès du même genre! »

John, diacre et directeur diocésain des OPM pour Saint-Hyacinthe, nous fait part d’une phrase qu’il a entendu au Congrès et qui l’a beaucoup interpellée : « Nous devons apprendre, désapprendre, et réapprendre à faire la Mission. »

Je crois que cette formule pourrait nous servir de modèle pour nous aider à « sortir de soi », comme le pape François nous l’a tant répété au cours des dernières années. Sortir de soi pour annoncer du Christ, requiert l’humilité de reconnaître qu’il faut désapprendre ce qu’on croyait être bon pour réapprendre à faire différemment.

Dans d’autres mots, nous – en tant qu’Église – ne pourrons pas avancer tant que nous ne fassions pas un travail sur soi qui va demander une réorganisation de nos anciens schémas et nos pensées; un réaménagement de notre conception de ce qu’est la communauté et le leadership; un changement de comportement et un nouveau regard posé sur les autres. La recette à ces défis est facile à trouver, elle se trouve dans les pages de l’Évangile.

Le père Luis Enrique Ortiz, de la congrégation des Clarétains, originaire de Porto-Rico, a également interpelé les congressistes à sa manière. Laissons-lui le mot de la fin avec ces réflexions :

« Que reste-t-il après ce CAM? Pensez à initier un processus de rénovation missionnaire dans différents lieux : communautés de base, centres de formation, séminaires, universités; dans chaque diocèse, dans la catéchèse, dans les groupes de jeunes, dans chaque famille, etc. »

Plus important, que tous sachent que « si la Mission est la vocation de l’Église, alors tout baptisé est appelé à la Mission. »

« Sortir n’est jamais facile. Mais c’est le seul chemin. »

La Mission ne devrait jamais être « quelque chose de spéciale ou d’extraordinaire, sinon quelque chose d’ordinaire. Il ne devrait pas y avoir de pastorale de la Mission, c’est plutôt la Mission qui doit être la pastorale des communautés (chrétiennes). »

Enfin, n’oubliez jamais que « nous sommes appelés à vivre comme des mystiques dans l’action. Il s’agit de percevoir la présence de Jésus dans l’action. C’est ce qui rendra possible notre voyage missionnaire aux confins de la Terre. »

 

 

(Photo: OPM Canada / José I. Sierra)

 

 

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